Au matin

Cette nuit, entre chiens et loups,  j'ai revisité un souvenir. J'étais encore à demi-endormie, j'émergeais d'un rêve. Je me suis revue, une nuit de plein été sur un catamaran au milieu de la Méditerranée ; j'ai choisi de faire le quart de 3h à 6h avec B*. La nuit est noire, le silence exclu, le vent, même modéré, on l'entend dans les voiles, l'eau aussi, le son c'est un glissement facile, sans fin prévisible, surtout seuls aux petites heures, quand on se laisse aller à imaginer n'importe quoi. Je me rappelle la surprise de me sentir lilliputienne en croisant un gros ferry tout illuminé sur des vagues noires. C'est étrange à quel point je deviens plus frêle qu'une brindille en un instant. Je suis contente de ne surtout rien faire : ne fais rien, ne change rien à la trajectoire, pourtant je le trouve bien proche et bien gigantesque ce monstre d'acier, ce Léviathan... Au petit matin, B* somnole un peu et moi, l'inquiète, la vigilante je guette dans la nuit, je suis tournée vers la partie la plus sombre de l'horizon. Un clapotis plus fort me fait sursauter et je regarde par-dessus mon épaule. Je suis aveuglée : le soleil émerge avec une très lente majesté du royaume sous-marin... Mes yeux sont si bien accoutumés  à cette obscurité veloutée que la lueur du crépuscule les blesse. J'ai  l'impression d'être arrachée à un monde enveloppant et doux, un ventre d'air et d'eau où la lumière est remplacée par la sensation d'un balancement continu. Et pourtant, en moins d'une seconde il m'est  insupportable de regarder à nouveau vers l'ouest et la nuit ; de toutes mes forces, de toute mon énergie j' absorbe chacun des degrés de lumière qui paraît. Une épiphanie ; je suis contente de l'avoir re-sentie.