Album familial

Cet album est annoté de la main de ma grand-mère, annotations récentes, au stylo bic. Sur la page de garde, une question : Et qu'a-t-il fait de mes photos à moi ? - Celles d'avant notre mariage ?...

La barre sur le t bondit furibonde sur les deux tiers de la première phrase, la biffe ; la question, soulignée de trois traits gras qui manquent percer le papier. A l'intérieur de l'album, des photos manquent, nombreuses : on le voit aux multiples attaches qui, seules, demeurent.
Ce qui me frappe, c'est la feuille de papier gaufré qui sépare chaque page de l'album ; le relief dessine des motifs de toiles d'araignée enchevêtrées, les araignées, bien sûr, et des mouches. Le verbe fait de la question est déféqué par une araignée qui tente de fuir, le thorax percé tout net par la barre du t : une trajectoire sans défaut ; et le moi est ponctué d'une mouche qui regarde en sens inverse.

Une image de ma famille, sinon une photographie ? Un analyste se frotterait les mains et je m'en moquerais bien si cet album récemment exhumé (le choix des mots, le choc des images !) ne venait à point nommé pour nourrir mon Corail de Darwin : hasard, coïncidence, synchronie ? Je cherchais une clé, en voilà une. Quelle chambre ouvre-t-elle ? Cela est du pur ressort des personnages qui vont moudre le grain que je leur apporte.