Un dimanche

Photo Alaïs C.


Un bonheur simple : se lever et redécouvrir que le soleil existe après onze jours de pluie. Aller à la boulangerie, choisir un pain, tailler la bavette, s'entendre dire que C* s'est régalée de mon livre et attend le suivant : autres bonheurs. Préparer la tatin en deux temps afin que la pâte brisée ne fonde pas dans le jus, le réserver dans un pichet que j'aime bien en me disant que plus tard je m'en servirai comme base pour un potage : bonheurs. Photographier mes légumes et aussi ce que je rencontre au cours d'une longue promenade avec ma fille : nous parlons de cadrage, de lumière, de texture, de filigrane, de land'art. Je me délecte de voir Alaïs décider de ses points de vue, elle choisit de photographier le chemin en sous-bois au ras du sol et je lui parle du film de Kubrick, Shining, et de la célèbre scène où le petit garçon file à tout allure dans un interminable couloir désert, la caméra est fixée au ras du sol ; vitesse et point de vue se conjuguent pour tendre les fils d'une angoisse pour moi insoutenable. Ce moment-là, je le choisis invariablement pour préparer un thé.
Ensuite, je travaille à mon massif de corail et comme en cuisine, je choisis les mots pour leur couleur et leur texture. Ce qui en résulte, je le goûte et décide de garder ou jeter ou mettre en attente.
Je découvre qu'un champ de vigne que j'affectionne va abriter la construction de deux maisons et je n'aime pas ça. Ce paysage, je le voudrais intact. Je n'aime pas les constructions nouvelles.
Dans ma nouvelle maison, j'envoie souvent la main du mauvais côté pour chercher un interrupteur dans le noir. Mon corps, après dix ans, se croit toujours à la maison de la Petite Fontaine, un vieux coquillage déserté par ses anciens habitants où nous avions élu domicile et où je me sentais chez moi.