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Portes et miroirs
20 janvier 2009

Ferveur et instants de grâce

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Le matin, je pars toujours largement à l'avance,  je déteste arriver juste à l'heure pour commencer les cours. J'ai besoin de temps pour passer de la voiture aux salles de classe. C'est que dans la voiture, j'écoute et c'est une activité à laquelle j'ai du mal à renoncer ; il me faut du temps pour ranger, mettre à l'abri, les réflexions ou les rêveries suscitées par les voix qui m'ont traversée au cours du trajet pour rumination ultérieure. Ces 40 km qui me séparent du lycée chaque jour modifient quelque chose en moi, parfois le changement est presque imperceptible, d'autres fois il est plus radical, mais j'ai besoin d'ajuster mon masque, d'endosser mon rôle social et professionnel. Au retour, j'ai besoin du même temps pour l'ôter.

Ce matin, même l'embouteillage ne parvient pas à m'angoisser, je passe de France Inter à France Culture ; pendant les pauses publicitaires j'écoute le disque de Marcio Faraco resté dans le lecteur. Ce matin, Nicolas Demorand et son invité Justin Vaïsse, un historien directeur de recherche à la Brookings Institution de Washington ont prononcé le mot ferveur six fois en moins de quarante secondes au sujet de l'investiture de Barack Obama. Ce mot a longtemps fait partie de mes préférés, maintenant moins ; je vieillis ou je mûris, c'est à voir.
Sur France Culture, à 7h 25, Caroline Eliacheff se demande dans sa chronique si nous sommes capables de reconnaître la beauté, (l'intraitable beauté du monde dit-elle) n'importe où, sous n'importe quelle forme et surtout de prendre le temps de l'apprécier. Elle raconte l'histoire d'un violoniste dans le métro, et en cherchant un peu à l'aide de l'inévitable St Google, je trouve qu'il s'agit d'une expérience initiée par un journaliste du Washigton Post : le 13 janvier 2007, il place un jeune violoniste affublé d'une casquette de baseball dans une station de métro, l'Enfant Plaza à Washington DC, le matin à l'heure où tout le monde part rejoindre son travail (dans ce quartier, principalement des fonctionnaires de classe moyenne). Pendant quarante minutes le violonneux taquine Bach, Schubert, Massenet : presque personne ne s'arrête, il récolte tout de même un peu plus de trente dollars. Très peu de personnes, sur les 1100 qui sont passées, ont reconnu Joshua Bell, un des meilleurs violonistes du monde qui donnait ce concert impromptu sur un Stradivarius de quatre millions de dollars. J'aimerais croire que je me serais arrêtée pour écouter ; je suis sûre que je n'aurais pas identifié Joshua Bell, je ne le connais ni d'Eve ni d'Adam, mais j'espère que j'aurais été séduite par la musique et que j'aurais accepté d'arriver en retard à mon travail pour ce petit morceau de beauté. Hélas, j'en doute ; mais pour la plus bête des raisons : par timidité je crois. Ecouter de la musique dans un lieu de passage me gêne, j'ai l'impression d'être prise en flagrant délit d'un plaisir illicite... Oui, je le reconnais, le poids des conventions sociales pèse sur moi. C'est difficile de reconnaître et de céder à la beauté, au plaisir et au bonheur, les rares instants où l'on s'y autorise sont de fragiles instants de grâce, de petits miracles d'autant plus précieux.
En tout cas, l'article que Gene Weingarten a tiré de cette expérience, Pearls Before Breakfast, lui a valu le prix Pulitzer (si vous cliquez ici, vous pourrez le lire, c'est passionnant, et voir plusieurs extraits de la vidéo qui montre Joshua Bell et les passants).

J'écoute d'une oreille la radio, c'est le soir, j'entends que pendant six minutes, les Etats-Unis n'ont pas eu de président. Quel scénario pourrait-on imaginer pour ces minutes ?

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