Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Portes et miroirs
15 décembre 2008

Du hasard

_chapp_e









Je me posais des questions sur Le Prince de Machiavel ce tantôt, et tout à l'heure, en revenant de Pertuis, hasard, coïncidence, synchronicité, comme on voudra, je tombe sur une émission en allumant la radio : ce thème, exactement . Je retiens une phrase que Machiavel a écrit dans une lettre ; il explique comment il a appris son métier durant quinze années, sans dormir ni jouer, en comprenant comment tresser les leçons des choses anciennes aux leçons des choses modernes. Je déduis de ce petit épisode qu'en gardant yeux et oreilles ouverts, on finit toujours par obtenir des réponses aux questions que l'on se pose...

A Aix, nous avons recommandé à nos élèves d'éviter les manifestations ce matin : récits de poubelles enflammées et cocktails molotov nous parviennent, rumeurs fondées ou non, nous leur suggérons la prudence ; quelques jeunes qui ne sont pas lycéens brûlent d'une énergie brutale et l'envie de tout casser les démange. A ma fille, je conseille l'engagement et la prudence : regarde toujours où tu es, avec qui tu es, ouvre grand les yeux... Devant leur lycée, la police observe d'un peu loin les mouvements des jeunes, et je n'aime pas ça. Un peu plus tard j'apprends que le ministre qui ne se voulait pas de l'hésitation (la tentation de faire un bon mot et de le substituer à une réflexion solide pave l'enfer, de même que les intentions, bonnes et mauvaises...) suspend sa réforme : les élèves me disent c'est pour la faire passer en août quand personne ne sera là, M'dame... Ils ont assimilé la finesse de ce point de stratégie politique... Cependant, je n'ai pas ouvert les journaux ni écouté la radio, alors je n'en écrirai pas plus.

Ce soir je vais écouter Chloé Rejon lire Nina Berberova à Arles, au Méjan : la saison des lectures s'ouvre pour éclairer et réchauffer un peu l'hiver qui s'installe. Ce soir dans un ciel fouetté et tourmenté comme par mille démons, une échappée pourtant, j'essaie de la saisir au vol.

Le froid, la pluie avaient découragé plus d'un auditeur, dommage, car ce fut un enchantement que d'écouter Chloé Rejon lire deux nouvelles de Nina Berberova et quelques pages de sa biographie. Je suis toujours étonnée que certaines femmes à l'air frêle de petite fille un peu craintive puisse faire sortir de leur corps une voix aussi puissante et douce et envoûtante. L'enchantement d'une telle voix est un peu rompu par une chanson interprétée par Stacey Kent ; quoique également envoûtante, la voix de la chanteuse entrouvre une brèche dans le temps suspendu de la lecture, et les pages lues ensuite perdent un peu de leur impact. L'esprit retient au creux de l'oreille la chanson, en est titillé, bon sang qu'est-ce que c'est, je connais cette chanson, et voilà qu'une page est lue sans qu'on s'en aperçoive vraiment. Comme je n'y tiens pas, à la fin de la lecture, je vais demander ce que c'était. Pourtant, ce qui demeure de la soirée, c'est le texte incarné par l'actrice. Comme son visage change, tour à tour possédé par les personnages et les émotions, même ses mains changent : une crispation, et selon la lumière on voit battre les mains d'une jeune femme pétulante, ou peser celles d'une femme harassée, d'un homme songeur ou abîmé dans le doute et l'incrédulité.

Après la lecture, un coup d'oeil au Rhône et reviennent les phrases de Nina Berberova au sujet de sa crainte irraisonnée de l'eau. Le fleuve roule une onde épaisse, onctueuse, grasse de boues, j'en sais les poisons, je devine les monstres ; la surface est comme une chair  travaillée en ses tréfonds, en filigrane se dessinent les vergetures des courants, l'ombre des remous. On perçoit la vitesse, la force des flots indifférents à ceux qui le contemplent rassurés que la crue soit moins redoutable qu'imaginée. Tout de même, je suis contente de m'éloigner, je me sens suffoquée rien qu'à regarder...

Publicité
Commentaires
Portes et miroirs
Publicité
Portes et miroirs
Archives
Publicité