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Portes et miroirs
19 novembre 2008

Routine et rituel

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Impression d'être légèrement ailleurs aujourd'hui. Un peu hors du temps, juste à la limite. Je n'ai remarqué les platanes de l'avenue au-delà du mur d'enceinte du lycée qu'à l'instant d'en partir : les feuilles brunies et séchées par quelques heures froides les nuits précédentes s'accrochent aux branches et reçoivent la lumière du soleil. Tiens, il faisait soleil.
Mes élèves me demandent si je fais grève demain. Ils espèrent un emploi du temps allégé, une routine bousculée, du temps volé, grappillé, le meilleur. Certains s'enquièrent des motifs de cette grève avec une lueur dans l'oeil. Je crois bien qu'ils espèrent un conflit d'envergure, voire un mot d'ordre de grève des lycéens : soyons réalistes, non pas pour empêcher qu'on finisse de mettre à sac notre système éducatif mais pour respirer, s'échapper de la glu des habitudes. J'observe la même réaction lorsque parfois l'alarme retentit : enfin un drame possible, l'ordre du jour bousculé, une bouffée d'air du large. Ce n'est qu'un exercice, les regards se voilent d'une taie morne, les épaules se tassent, il faut retourner au train-train...  Je les comprends. Cette routine-là est un insidieux poison qui paralyse les élans et borne les horizons. Et routine n'a rien à voir avec rites ou rituels : le rituel du baiser du soir, le rituel d'une visite, les rites des amoureux. Ce sont les phares, les cartes, les balises d'une contrée à explorer ; les rites, les rituels se construisent, la connivence est nécessaire, ils servent à se reconnaître, se retrouver. La routine entrave, le rituel magnifie.
Il y a parfois des rituels à l'école, mais les effroyables sonneries, les coups de klaxons qui résonnent infailliblement toutes les cinquante-cinq minutes déchirent le temps plus qu'ils ne le balisent et le coup final est le signal d'une expulsion désordonnée et chaotique.
  Ce que je préfère à l'école, c'est quand nous sortons des murs, quand nous nous échappons quelques jours : là des rituels s'établissent, des territoires à explorer s'élaborent où on peut s'inviter. A l'école, tout est à tout le monde, rien n'est à soi,  chacun se sent intrus, exclu, les profs comme les élèves...
Oui, aujourd'hui, je n'ai remarqué le ciel et la lumière qu'une fois les élèves partis : je n'ai pas vu passer la journée, je n'ai eu le temps de rien, je n'ai profité de rien. Je suis un prof mal organisé. Et de toute façon, j'étais légèrement ailleurs, à côté de mes pompes, en perpétuel décalage mais juste un peu. J'étais omnibulée par cette peste de sonnerie qui m'arrache les tympans et m'interrompt toujours au mauvais moment. Je  le dis : je déteste toutes les formes de sonneries conçues pour limiter le temps imparti. Routine. J'aime les coups égrenés par les clochers et les pendules. Rituel.
Aujourd'hui disposée à un beau rituel, une cérémonie lente  où l'on aurait pris le temps de sentir et soupeser les choses les plus minuscules pour en réaliser le prix, vlan, je n'ai eu que de la routine pour brouet. Pouah !

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