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Portes et miroirs
5 septembre 2008

King Lear et les autres

fliesCertains livres naissent pour être inoubliables. S'inscrire au ciel des romans qui traversent les décennies et les siècles, même s'ils ne sont pas lus (de nos jours on va penser achetés) par le plus grand nombre. Je pense, dans le désordre, aux oeuvres de Stendhal, Flaubert, Madame de Lafayette, Thomas Hardy, D.H. Lawrence, Tennessee Williams, Giono, Gracq, Proust, Toni Morrison... enfin je ne les citerai pas tous, ceux qui écrivent et établissent des cartes de l'âme humaine, indispensables pour naviguer sur notre grand fleuve.

Des livres, il s'en est toujours écrit et j'imagine que la majeure partie a été oubliée, les volumes sont tombés en poussière ; ils ont pu être à la mode, faire fureur un temps, paraître indispensables un an, dix ans même, et on les a impitoyablement effacés de notre mémoire, collective ou pas.
Mais qui oublie Le Rouge et le Noir ? Qui oublie King Lear ? Et Wuthering Heights ? Madame Bovary ? Vingt-quatre heure de la vie d'une femme ? L'étranger ? Beloved ? Cat on a Hot Tin Roof ? The Great Gatsby The Sound and the Fury ? Je ne dis pas que tout le monde les a lus ou les aime ; ces oeuvres sont tellement puissantes qu'elles semblent vivre toutes seules, affranchies des règles des simples livres mortels. Il suffit d'un collège d'illuminés pour transmettre la petite flamme de génération en génération. Le souffle se maintient grâce à l'école, le cinéma, la télévision, le théâtre. Ou simplement une bibliothèque, une librairie.
Oui, il y a des livres qui naissent pour être inoubliables. Des portulans. Ils sont phares aussi et se dressent au long des côtes, falaises crayeuses ou grèves de sable et de boue.

Moi, j'ai la chance d'entrevoir la naissance d'un tel livre : pendant d'un autre, formant diptyque, ce roman restera ancré en nous par la grâce de ses personnages complexes et attachants. Parfois, je pense à un opéra, avec des voix qui s'appellent, s'interpellent, se mêlent et bouleversent par ce que peu à peu elles révèlent. Je pense aussi à un film, par les cadrages précis, les découpages des scènes, les rythmes soigneusement agencés...  Je pense aussi à quelque chose de  beaucoup plus intime, comme s'asseoir au bord d'une rivière et se laisser aller aux jeux infinis de la lumière sur les flots, remous, galets, rochers... On y voit défiler les souvenirs et les images qui font de nous qui nous sommes, on s'observe dans cette rivière comme dans un miroir. Bref c'est un roman, c'est-à-dire qu'il est un univers à part entière, il vit tout seul. Mais ce n'est pas un roman comme il s'en produit chaque minute.  Comme toutes les oeuvres inoubliables, il reprend ce thème lancinant, douleur qu'on ne peut s'empêcher de sonder, d'explorer de toutes les façons possibles, de notre condition de pauvres jouets aux mains d'une force cruelle au mieux (il y aurait un sens à nos tragédies), indifférente au pire (nos tragédies ne signifient rien) : as flies to wanton boys are we to the gods...

Je me rappelle avoir bassiné tout le monde quand j'ai découvert l'oeuvre de Julien Gracq : mon jugement ne devait pas me tromper beaucoup puisqu'on a l'a rééditée  dans la Pléïade. Pareil pour Toni Morrison : je n'ai pas arrêté d'en parler, j'avais lu tout ce que je pouvais trouver d'elle et quelques années plus tard, elle reçoit le Nobel... Même chose pour John Maxwell Coetzee. Ce que j'en déduis ? C'est que j'ai le goût et le jugement sûrs. Je suis tranquillement et intimement persuadée d'avoir découvert par le hasard le plus complet, une oeuvre qui fera date.

Mais de qui  est-elle à la fin ? Et bien je ménagerai mes effets. La suite au prochain numéro.

 

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